Le train pollue inutilement à cause de… la publicité sur les e-billets

L’impact environnemental du numérique n’est pas toujours négligeable, même face au transport

Matti Schneider (FR)
10 min readApr 30, 2020

Le train est mon mode de transport principal, et je me déplace beaucoup.
En 12 ans, j’ai accumulé plus de 1 600 billets électroniques dans mes boîtes mail. Un disque dur un peu trop plein et l’outil de nettoyage CleanMyMac m’ont fait remarquer le poids non négligeable de cet historique… au point que j’ai eu envie de l’analyser plutôt que de me contenter de l’effacer. C’est comme ça que j’ai découvert que mon moyen de transport préféré pouvait encore améliorer son bilan carbone, et ce pour une raison totalement absurde : les pièces jointes polluent parfois plus que le trajet lui-même.

De la publicité dans les e-billets

Si vous n’en avez pas l’habitude, voici ce à quoi ressemble une confirmation « e-billet », la preuve d’achat d’un billet électronique envoyée par SNCF.

Billet électronique de voyage en train Intercités envoyé par SNCF en 2019.

On y trouve assez logiquement :

  • un récapitulatif du voyage ;
  • un QRcode qui permet au contrôleur de valider le billet (et de passer les insupportables et dangereux portiques) ;
  • le prix (en tout petit dans une case en haut à droite qu’aucun‧e comptable ne voit jamais) ;
  • …et une publicité pour une location de voiture 🙃

Le dernier point vous surprend ? Moi aussi. Je croyais que l’idée c’était de nous faire préférer le train… Enfin, admirons la performance : SNCF réussit à créer un encart publicitaire distribué à des millions d’exemplaires et dont chaque impression est payée par ses client‧e‧s. Et tant pis si la dépense en encre est plus élevée pour la pub que pour le document nécessaire au transport.

Pourquoi l’imprimer ?

Car oui, malheureusement, un grand nombre de personnes qui voyagent impriment cette « confirmation e-billet ». Et c’est bien normal, puisque c’est ce qui est explicitement indiqué dessus !

Cette confirmation doit être imprimée de bonne qualité sur du papier A4 blanc, sans modification de la taille d’impression.
Il ne manque que « Merci d’imprimer cette publicité en quadrichromie sur papier glacé ».

…et pourtant, la seule chose que va faire le contrôleur, c’est scanner le QRcode. Si l’achat se fait par une application sur mobile, par exemple, le code peut être affiché directement, et le billet est tout aussi valide. Montrer le code-barre sur son téléphone depuis le PDF de confirmation fonctionne tout autant. Et même, un petit secret : si vous n’avez plus de batterie, votre date de naissance suffit au contrôleur pour retrouver votre billet sur son terminal. C’est toute la magie d’un billet électronique. Malgré ces instructions trompeuses, le besoin d’avoir une version papier n’est qu’une impression.

« Tu écris vraiment un article pour dire qu’il suffit que je n’imprime pas mon e-billet pour sauver la planète ? »

Malheureusement, ce gentil geste éco-citoyen ne sera pas suffisant (enfin, faites-le quand même). En effet, l’envoi et le traitement d’un courriel ont eux aussi une empreinte environnementale… et pour le coup, vous ne pouvez pas y faire grand-chose.

L’impact environnemental des pièces jointes

L’étude Analyse comparée des impacts environnementaux de la communication par voie électronique de l’Agence de développement et de maîtrise de l’énergie (ADEME) permet d’estimer le potentiel de changement climatique de l’envoi d’un mail en grammes équivalent CO₂ (gCO₂e), c’est-à-dire la masse d’un gaz à effet de serre qu’il faudrait émettre dans l’atmosphère pour obtenir le même effet de dérèglement climatique que celui généré par l’action menée.
Je reviendrai plus loin sur les nombreuses limites de ces mesures ; pour le moment, ce qui doit nous interpeller, c’est que selon le poids des publicités qui sont incluses dans les billets et selon les trajets effectués, la part de l’empreinte carbone du déplacement qui peut être attribuée purement au mail de confirmation avec sa pièce jointe va de 0,1% à… 57% !

Grande vitesse

Commençons par un trajet en TGV. Sur un trajet Dijon–Paris effectué en 2019, par exemple, la publicité incluse dans la confirmation e-billet en pièce jointe du mail d’achat faisait la promotion de la nouvelle marque TGV INOUI.

La France à portée de train, SNCF transforme les trains TGV en TGV INOUI
Publicité incluse dans les confirmations e-billets SNCF en septembre 2019

Cette pièce jointe pesait 419 ko. À titre de comparaison, les mêmes confirmations envoyées sans publicité pendant quelques mois en 2016 et 2017 pesaient en moyenne 23 ko. On peut donc attribuer environ 95% du poids du fichier à la publicité.

En s’appuyant sur l’étude de l’ADEME , comparons l’impact climatique de cette pièce jointe avec celui du trajet, dont les émissions nous sont fournies par les données ouvertes du portail Open Data SNCF.

1% des émissions de gaz à effet de serre d’un trajet Paris–Dijon en septembre 2019 provenaient du mail e-billet

Le ratio semble raisonnable : la majeure partie des émissions peut être attribuée à la mobilité plutôt qu’au numérique. Dans le contexte d’urgence climatique qui est le nôtre, on peut néanmoins se demander s’il ne faudrait pas saisir l’opportunité d’une baisse de 1% des émissions par un acte aussi simple que l’arrêt d’envoi de publicité pour un service déjà acheté.

Les petites lignes

Mais allons moins loin et intéressons-nous aux trajets TER. Ici, deux aspects vont jouer pour augmenter la part d’impact du e-billet : d’une part, la distance parcourue est moindre, et les émissions liées au trajet devraient donc être plus faibles ; d’autre part les publicités sont fournies par les régions, à un autre format. En voici un florilège.

De gauche à droite : publicités des régions Occitanie, Bourgogne-Franche-Comté, Sud, Auvergne-Rhône-Alpes

Pour le calcul des émissions du trajet, on ne peut plus s’appuyer sur le portail Open Data SNCF, car celui-ci ne donne les émissions CO₂e que pour les « principales liaisons TGV ». En cherchant ailleurs, j’ai fini par trouver les modalités de calcul d’émission Oui.sncf.

Emissions d’un voyageur SNCF parcourant 1km en 2019 : TER : 26,5g CO2e
Ces informations doivent obligatoirement être fournies par un transporteur en vertu de l’article L.1431–1 du code des transports depuis la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Malheureusement, les données sont fournies par offre commerciale et non par mode de traction ou d’aménagement. Cela signifie par exemple que tous les TGV sont réunis dans la même catégorie, qu’ils soient Réseau, POS ou Duplex, alors qu’on comprend bien que la quantité d’émissions par voyageur va varier si le train a un ou deux étages…

Ce choix de présentation handicape injustement les TER, qui semblent polluer près de 14 fois plus que les TGV puisque sont réunis dans le même bloc le réseau électrifié et les lignes en traction diesel. Ces données ne sont donc pas satisfaisantes. Heureusement, on peut trouver la distinction entre les émissions des automoteurs thermiques et électriques sur la Base carbone de l’ADEME. Et là, les résultats sont frappants. Autant sur les lignes thermiques, bien plus polluantes, on retrouve un ratio comparable aux lignes TGV…

3% des émissions de gaz à effet de serre d’un trajet Nice–Peillon en août 2019 provenaient du mail e-billet

…autant sur les lignes électrifiées, la part e-billet est significative

10% des émissions de gaz à effet de serre d’un trajet Nice–Cannes en septembre 2019 provenaient du mail e-billet

Pour certains trajets particuliers, par exemple le cas de l’intra-urbain électrifié dans une ville avec plusieurs gares, on peut même arriver à une situation totalement absurde où le billet a une empreinte carbone plus grande que le transport, simplement parce que le conseil régional veut promouvoir sa carte de réduction !

57% des émissions de gaz à effet de serre d’un trajet Nice Ville–Nice Riquier en septembre 2019 provenaient du mail e-billet

Ces chiffres sont à prendre avec d’énormes pincettes

À ce stade, l’un de nos apprentissages est donc que l’impact environnemental du numérique est loin d’être négligeable, et qu’il peut même parfois être majeur dans un domaine par ailleurs très vertueux comme le ferroviaire.
Un autre apprentissage, que je n’ai pas détaillé en cours de route pour ne pas compliquer le propos, est la difficulté à obtenir des données fiables. Si cela vous intéresse, je détaille les limites de l’analyse, les choix faits et le parcours du combattant que représente l’obtention des données dans un autre article :

Ici, je me contenterai de noter que les marges d’erreur (les « incertitudes ») associées aux valeurs fournies sont énormes (45% pour les mails, 60% pour les trajets), que les émissions par passager dépendent au premier chef… du nombre de passagers sur l’année et varient donc fortement d’un an à l’autre, même sans modification du matériel roulant, et surtout que les données pour les mails remontent à 2011, et que le profil de consommation du parc informatique a certainement changé depuis.

S’il faut donc prendre le nombre de grammes CO₂e de chaque trajet comme un ordre de grandeur et non comme une valeur exacte, j’ai quand même fait le choix de rédiger cet article car je crois qu’au mieux des données dont nous disposons, il y a une grande valeur politique à la prise de conscience de l’impact environnemental du numérique, et qu’il nous faut de meilleures données pour mieux l’évaluer. D’ores et déjà, on peut faire des propositions.

Recommandations

  1. SNCF devrait cesser d’inclure des publicités sur ses confirmations e-billet. Ce document de transport, présenté comme obligatoire, représente un coût environnemental (et une charge financière pour les personnes qui l’impriment) indus lorsqu’il est utilisé comme support publicitaire.
  2. SNCF devrait corriger les instructions d’impression sur la confirmation e-billet. L’impression n’est pas nécessaire et la formulation actuelle pousse inutilement à l’effectuer.
  3. La billetterie Secutix devrait compresser les images incluses dans ses billets, et plus généralement la taille des pièces qu’elle génère. Les fichiers générés par cette billetterie utilisée par les régions pour les billets TER aboutit en effet à des poids très variables pour la même image.
  4. Les régions devraient inclure l’empreinte numérique dans le cahier des charges des appels d’offre pour l’opération des TER. On a en effet vu que la part des e-billets est particulièrement grande sur les trajets courts, et que le poids des publicités régionales est sensiblement supérieur aux publicités nationales. C’est donc sur les trajets TER que la marge est la plus grande, et les régions sont les donneurs d’ordre à cet endroit.
La carte a un QRcode au dos : en entrant son numéro lors de la réservation, plus besoin d’imprimer les confirmations.

5. Les personnes qui voyagent devraient privilégier la carte voyageur à l’impression des e-billets. Si vous ne pouvez pas contrôler l’envoi du courriel à ce stade, vous pouvez économiser de l’argent et des ressources finies en vous inscrivant au programme voyageur SNCF pour recevoir gratuitement une carte qui permet de dématérialiser les billets.

Ce à quoi pourrait ressembler la sobriété numérique

Pour les voyageurs un tant soit peu fréquents, le document e-billet, tant sous forme imprimée que sous forme d’une pièce jointe, est totalement inutile. En effet, le billet est associé à mon compte voyageur, et je peux simplement présenter le QRcode de ma carte de fidélité (« carte voyageur ») pour prouver l’achat du billet. Un simple courriel au format texte brut ferait tout aussi bien l’affaire ! Tiens, ça me rappelle un truc…

Double bonus nostalgie si tu trouves la super ligne qui n’est plus opérée.

En 2012, un certain « Capitaine Train » (en bêta, certes) envoyait précisément cela. Poids total du courriel : 4 kio. On ne peut littéralement pas faire plus petit : cette taille n’est même pas celle du contenu mais celle de la plus petite taille de bloc sur un disque dur…

Les agences de voyage (OUI.sncf, Trainline…) pourraient donc n’envoyer la confirmation e-billet par courriel que sur demande pour les voyageurs ayant une carte de fidélité.

Proposition : pouvoir cocher ou non une option d’envoi par mail des confirmations e-billets

La confirmation pourrait être téléchargeable depuis le site d’achat, au même titre que Trainline propose déjà en option l’envoi d’un événement ICS, d’un mémo Wallet, ou encore d’un justificatif de paiement.

Pour les personnes n’ayant pas de carte voyageur, envoyer le QRcode seul en pièce jointe comme le fait Thalys pourrait suffire.

QRcode
Unique pièce jointe d’un billet Thalys. Poids : 971 octets.

Et si on rendait visible l’impact environnemental des options que l’on choisit ?

Quand on achète un billet de transport, on est censé en voir le coût carbone au même titre que l’on en voit le prix et la durée.

Trajet de Paris gare de Lyon à Dijon : 0,6 kg
En haut à droite, une estimation du potentiel de changement climatique en kgCO₂e fournie par Trainline.

Et si on appliquait le même raisonnement aux options numériques ?

Proposition : indiquer les grammes CO₂ émis par chaque option d’envoi de documents (calendrier, newsletter, facture…)

Bien sûr, une telle proposition n’est pas à prendre littéralement, en raison des incertitudes liées aux calculs, de l’aspect négligeable du numérique dans la majorité des situations du quotidien, et enfin du fait qu’un nombre de grammes équivalent CO₂ n’est pas franchement la manière la plus lisible d’estimer l’impact d’un choix. Mais à défaut de meilleure mesure, peut-être faudrait-il commencer à nous l’approprier pour construire une échelle personnelle et collective de ce qui est acceptable et ce qui l’est moins 🙂

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Si le lien entre numérique et justice climatique vous intéresse, vous pourriez également être intéressé·e par le lien entre numérique et justice sociale dans Les conditions d’adoption du numérique dans le service social ou par mon livre blanc Construire des communs numériques.

Merci à Anouchka, Antoine et Jean-Michel pour leur relecture.
Disclaimer : le lien CleanMyMac est un lien de parrainage.

Modification du 03/05 : j’ai retiré le lien vers CleanMyMac au vu du nombre de partages de l’article et de la suspicion que cela a entraîné. Je persiste à recommander ce logiciel que j’utilise depuis des années et qui m’a permis de détecter le poids inattendu de ces pièces jointes. Je remettrai peut-être ce lien une fois le pic de visites passé.

Modification du 03/05 : ajout du lien vers l’article complémentaire sur les données.

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Matti Schneider (FR)

Ingénieur transdisciplinaire nomade. Services publics numériques @OpenFisca. Lead @AgileFrance. Ex Core @BetaGouv @MesAides @GovtNZ. Compte 🇫🇷 de @matti_sg.