Et si tu devenais CTO de la France ?

7 min readAug 3, 2018

Un nouveau rôle va être créé au sein de l’État français : celui de CTO. En français dans le texte, il s’agit d’un·e « directeur·rice des technologies numériques de l’État », et le poste est rattaché à la DINSIC (Direction Interministérielle du Numérique et du Système d’Information et de Communication). La réalisation de l’importance du numérique au sein de l’action publique a grandement accéléré ces dernières années, et je crois que l’ouverture de ce poste est aussi celle de grandes opportunités… si la personne qui l’occupe vient pour apporter les pratiques du numérique dans l’administration et non l’inverse !

Le poste de Directeur dans le jeu Les Petits Chefs, Agile France 2017

J’espère à travers cet article encourager des candidatures atypiques en montrant comment on peut lire la fiche de poste comme un mandat pour incarner la priorité donnée à l’action, à la transparence et à la collaboration, tout en pointant quelques-unes des déconvenues qu’une personne découvrant le secteur public pourrait avoir.
Je me base sur mon expérience à travers Étalab et beta.gouv.fr mais aussi à présent en Nouvelle-Zélande, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie et en ayant échangé avec d’autres praticien·ne·s partout dans le monde. Oui, le monde de l’administration peut être déroutant et des surprises sont à prévoir, mais on peut y avoir tant d’impact !

Penser le conseil comme un service public

L’une des (nombreuses) missions de ce·tte CTO est de fournir « un appui aux administrations engagées dans de nouveaux développements technologiques, ou dans la migration de leurs anciens systèmes ». Une réponse classique de l’administration consisterait à reproduire un modèle de consultant, où chaque demande mène à la réalisation d’un audit spécifique. Mais un tel fonctionnement est aberrant en l’absence du modèle d’affaires correspondant : là où une agence privée a intérêt à multiplier les contrats (puisque chacun d’entre eux lui apporte des ressources augmentant sa capacité à répondre à de nouvelles demandes), cela ne passe pas à l’échelle pour un acteur public interministériel. Les ressources seront les mêmes, peu importe le nombre de dossiers traités. La question est donc celle des possibilités d’une croissance exponentielle des résultats avec une croissance linéaire des moyens.
Mais finalement, si vous avez déjà eu à gérer la croissance d’une application web, vous savez probablement le faire, non ? 😉

La réponse se trouvera certainement dans la publication et l’indexation des résultats. Si chaque nouvelle demande vient non pas exploiter de manière rivale des ressources précieuses, mais au contraire enrichir une base de connaissance partagée, on capitalise sur chaque réponse apportée. Mais il faut aller encore plus loin et questionner les frontières : les hésitations à l’adoption de nouvelles technologies et à la migration de systèmes existants ne sont pas l’apanage du secteur public ! Même en répondant en priorité aux besoins des administrations, la mise à disposition de ces réponses à tou·te·s aidera également les acteurs privés. Et chaque acte de débureaucratisation, peu importe où il se fait, améliore le quotidien des Français·es.

Au-delà de l’aide à trouver des réponses à des questions précises, une manière efficace de guider et d’appuyer la transformation tout en renforçant la transparence consiste à construire des indicateurs qui engagent au changement systémique.
Par exemple, à quoi bon attendre que la question soit posée de l’opportunité d’utiliser un fournisseur de certificats SSL tel que Let’s Encrypt, alors que la réponse serait mieux encore suggérée par un outil qui guide l’action comme verif.site ? Indiquer « tous les sites de l’administration qui utilisent un certificat Let’s Encrypt sont notés A, alors que votre site est actuellement noté C » évite une question et donne une réponse pour gérer sa transformation, à coût fixe pour l’équipe CTO, tout en apportant une vue d’ensemble qui ferait nécessairement défaut dans des échanges bilatéraux répétés.

Coproduire les accélérateurs de l’innovation

Sur la base de l’exemple de verif.site, je remarque une grande opportunité apportée par la création de ce poste. Lorsque je travaillais chez beta.gouv.fr, nos équipes ont souvent eu l’occasion de produire, soit pour leurs propres besoins soit par une rapide exploration, des objets numériques qui n’ont pas eu l’occasion d’être développés en véritables services en raison d’un manque de capacité à les porter. Que rendrait possible l’API d’annuaire de l’administration si elle était consolidée non pas seulement par des équipes déjà focalisées sur leurs produits mais aussi par un effort transverse ?

Il se trouve que l’équipe CTO pourra « porter de façon pérenne le développement et le fonctionnement de composants numériques au bénéfice de l’interministériel ». Comme pour le point précédent, la question du passage à l’échelle se pose : comment opérer tous les composants numériques transverses dont les ministères d’un pays comme la France pourraient avoir besoin ? Je pense par exemple à des idées que j’ai déjà présentée à la DINSIC, comme France UI (un dépôt de composants graphiques à destination des acteurs publics et de leurs prestataires qui unifierait enfin l’expérience usager pour les interactions avec l’administration) ou Sondier (un détecteur de fuite de données personnelles en intégration continue activable sur GitLab CI et GitHub Marketplace)…

Ici, je crois que la réponse se trouvera dans la collaboration. Cela implique évidemment du code libre, mais probablement plus que cela : une mutualisation des ressources qui permettra de maximiser la pérennité et diffusera la capacité servicielle dans l’administration. Sondier pourrait être une coproduction CTO / CNIL. Un espace interministériel de bug bounty une coproduction CTO / ANSSI. Et ainsi de suite, jusqu’à la collaboration avec d’autres échelons territoriaux voire l’extérieur de l’action publique, comme nous avons prouvé savoir le faire avec OpenFisca, qui a pu atteindre sa forme actuelle grâce à des acteurs comme l’Institut des Politiques Publiques, la ville de Paris ou encore Rennes Métropole.

Inventer la diplomatie du XXIᵉ siècle

Tout comme les services numériques nationaux devraient être co-produits, travailler de manière transparente est une opportunité exceptionnelle pour inventer de nouvelles manières de collaborer à l’échelle des institutions.

Affiche datée célébrant 50 ans d’UE, Malte, 2017

Les individus impliqués dans le logiciel libre sont capables depuis des décennies de travailler ensemble sur des projets qui ont profondément et durablement transformé notre vie quotidienne. Au-delà de la simple mise en commun de ressources, c’est peut-être cette collaboration en elle-même qui a mené à un impact aussi fort, grâce à la diversité des pensées assemblées vers un but commun. Pourquoi les acteurs publics continueraient-ils à ignorer la puissance que recèle un alignement des besoins et des compétences ? Aujourd’hui, les accords de coopérations inter-administrations et internationaux sont le plus souvent négociés à un niveau stratégique et considérés comme rentabilisés d’abord par un retour politique. Il est temps d’exploiter la force des accords tacites et opérationnels.

Quand on hésite sur la meilleure marche à suivre, quel est notre premier réflexe ? Demander à un·e ami·e qui s’y connaît. Dans le monde de la transformation de l’action publique, à l’échelle des États, l’ami·e qui s’y connaît a plus de chances d’être les agents d’un ministère aux responsabilités équivalentes dans un autre pays qu’un·e autre chef·fe d’administration du même corps que soi.

J’ai participé à plusieurs rencontres du groupe Operational Opportunities du Digital 7, et j’ai pu observer à quel point 90 minutes par mois pouvaient accélérer la prise de décision en apprenant des échecs et des succès d’équipes de l’autre côté du globe. La manière dont l’Uruguay a mené en cinq ans la transformation de son système de santé vers un écosystème intégré basé sur des standards et du logiciel libre pour aboutir à une interopérabilité avec ses voisins sudaméricains pourrait bien inspirer notre intégration européenne. Et peut-être qu’éviter à nos voisins la dépense d’un SIRHEN permettrait d’en mitiger les coûts ? 😅
Dans le monde du logiciel libre, on réutilise ce qui marche et on apprend de ce qui ne marche pas. Aucun acteur ne peut être compétitif, ou simplement efficace, s’il croit être seul au monde avec ses problèmes et passe son temps à inventer ses propres solutions. Et pourtant, la phrase que j’ai le plus entendu, partout où je suis passé, a été « mais ici, c’est spécial »…

L’adoption d’OpenFisca par la Nouvelle-Zélande suite à mon passage au Government Service Innovation Lab a déjà permis l’ajout de fonctionnalités aux outils associés. À quel moment sera remboursé le surinvestissement dans le développement international que j’avais sécurisé à la DINSIC en 2017 ? En nombre d’heures, je ne sais pas. En termes de fonctionnalités, en revanche, je suis certain que c’est déjà le cas : les problèmes découverts par cette équipe ne l’auraient probablement été que trop tard par des agents figés dans leur propre contexte. Ce qui semblera trivial aux agents d’un pays pourra être le point bloquant de ceux d’un autre.

Partout dans le monde, l’époque est à la réduction des budgets. Plutôt que dans la réduction de la qualité de service, c’est dans la collaboration vers des objectifs concrets que se trouve la réponse à cette contrainte : il est temps de construire le multilatéralisme basé sur l’action qui améliorera le service public pour les citoyen·ne·s de tous les pays qui partagent les mêmes difficultés. Nous en connaissons les outils et nous en avons les moyens.

Il est encore temps de faire tout ça !

L’offre pour le poste de CTO est ouverte jusqu’au 14 août. Si tu es capable de penser autrement que l’administration le fait habituellement, j’espère t’avoir montré l’étendue des possibles et l’utilité de rejoindre la DINSIC.
Je sais, c’est les vacances, mais si ça te dit de changer un peu le monde à la rentrée, ça vaut peut-être le coup d’envoyer ton CV ? En tous cas, moi, ça me ferait bien plaisir d’apprendre qu’on a une Directrice des technologies numériques de l’État qui a l’intention de dépoter 😉

Un officier seul peut faire pas mal de bruit. Tir de canons, La Valette, Malte, 2017

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Matti Schneider (FR)
Matti Schneider (FR)

Written by Matti Schneider (FR)

Ingénieur transdisciplinaire nomade. Services publics numériques @OpenFisca. Lead @AgileFrance. Ex Core @BetaGouv @MesAides @GovtNZ. Compte 🇫🇷 de @matti_sg.

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